C'est un gros mix de congo chew et d'overdose de riz, de syndrôme de la frite et de clémentines en tailleur, de discussions et autres nouvelles depuis tous ces gens-là, de convergences, parallaxes et autres choses relationnelles qui te donnent envie de partir là-bas, de revenir ici, tout ça ; quand tu hésites entre aller ramasser des chataignes en Ardèche, monter à Paris ou rejoindre le Jura, et qu'en fait tu choisis de partir en Jordanie.
Le passage à l'heure d'hiver marque l'entrée précipitée dans une ère un peu comme décalée par rapport aux activités du moment - genre, aller se baigner à la mer ou bien se lever aux aurores.
Je m'exerce à fixer les souvenirs de ces journées plus ou moins denses, parce que j'ai peur d'oublier ce que j'ai fait, ou parce que je veux me rappeler de ces sensations et de ces détails, des couleurs du matin trop tôt et des coups de pinceau dans le ciel, de l'odeur du chantier d'un gâteau au chocolat dans la cuisine étroite, de ces repas à l'envolée autour d'une table sans coin, du génial d'être une coloc aux pieds noirs et du besoin parfois vital de respirer l'air frais de la nuit.
C'est un peu comme si ces choses-là constituaient le sel fou de la vie, comme si elles nous permettaient de prendre le temps de penser à ces choses-ci, essentielles ; c'est comme si elles marquaient l'entrée presque magique dans d'insaisissables moments de vrai.
Les doigts et les avant-bras tout fatigués de s'accrocher sur des prises à nouveau, on trouve un rythme à l'automne.
Le soleil donne la cadence, c'est des tartes au citrons au 16ème et des morceaux de vie engloutis près de l'eau, des descentes à vélo dans la fraicheur du soir, des siestes presque dehors sur ce fauteuil à plumes si tant génial, des pages noircies de crayon pas réfléchi, des yeux qui ne se lassent pas du paysage - qui change mais qui ne change pas, tu vois un peu.
Bon. Il commence à faire froid, tu as le poncho de mémé à nouveau greffé au dos et les colocs sont en chaussons de l'espace - et en même temps les moustiques sont toujours là et les crénaux ensoleillés sont encore fous, c'est assez déconcertant.
Petit déj rougail saucisse quand ton horloge biologique est bel et bien réglée pour voir la ville s'allumer, tu hésites entre y penser ou non à ces projections dans le temps, parce que c'est à toi de décider, c'est à toi de fabriquer ce truc au milieu de tes mille envies.
C'est encore l'été dans mes dix mètres carrés, je trouve ça juste génial, d'être dans une capsule de summer alors que tout le monde autour est en bonnet.
Sinon, le mois se déroule avec un focus automatique sur les choses cooles de la vie - les choses les plus anodines du quotidien, quand ton cerveau est dans les nuages. À grimper sur le toit du toit, à tenter de revenir les pieds sur terre, à essayer de produire un peu des choses sensées alors que tout s'envole quand tu ouvres les fenêtres ouest.
À une époque de ma -feu- vie d'étudiante, on m'a conseillé de lire un tas de bouquins, regarder plein de films et voyager beaucoup. Aujourd'hui, c'est le moment de poser/choisir/trouver ce qui te convient comme style de vie, oui c'est risky risky mais il y a évidemment des directions que tu ne te vois pas prendre, certaines qui te semblent impossible, parce que ou parce que.
Prendre le temps d'explorer et développer ces choses est apparemment un petit luxe qui n'est pas donné à tout le monde, ni facile à saisir, en fait plutôt. On se rend compte qu'on oublie ses rêves, que l'énergie manque pour rêver ou bien qu'on a peur de rêver trop grand ; quand nos contraintes s'effacent on fuit dans le réconfort d'une histoire à dévorer au soleil sur fond de mer Méditerrannée, et on retrouve du confort dans les petits espaces et cette lumière de dingue.
Le temps s'étire presque, les choses se figent peu à peu dans une espèce de climax assez déconcertant.
Les week-ends sont faits de pique-nique et de siestes au soleil, de balade champi au succès mitigé, de petites retraites cinématographiques quand c'est l'orage et de jardinage dans le vent du 16ème ; au fur et à mesure que l'aube retarde les jours commencent vaguement à se ressembler et tu t'habitues à la dureté des nuits comme si c'était devenu normal.
Ce qui te fait te demander entre deux feuilles de mesclun d'automne si la retrouvaille a plus de valeur que la trouvaille, si l'évidence comme l'aventure sont des concepts trop foireux pour s'y attacher.
Le temps des journées à rallonge et des nuits moites est apparemment révolu ; les matins se veulent de douches brûlantes et non plus de baignades matinales pour réveiller nos corps endormis, la nuit tombe plus vite et déjà on rêve d'hibernation.
Les grandes questions se posent inévitablement, comme des évidences, au milieu de la jungle réagencée du 16ème, au bord de la mer ou dans notre cuisine pimpée à la razor saw.
Et je réalise que l'école buissonnière est parfois nécessaire, en fait. En s'arrêtant, on peut mieux prendre conscience, à la lueur de lune bleue dans notre salon ou au calme de la mer, de ces moments de baume du tigre à en pleurer, du ciel doré, rose ou gris, des discussions parfumées à la tisane du soir, des retrouvailles avec ce vélo rouge si tant cool, du génie des ambitions de rizithèque ou du cool d'une belle de nuit qui grandit presque toute seule.