Comme d'habitude je me suis préparée pour la retraite de fin d'année, quand on ne compte plus les jours, qu'on mange beaucoup trop et qu'en dehors du marathon gastronomique, la vie se résume à regarder des films, lire des bouquins ou jouer aux dutch avec ses frangins. J'ai emporté mes aiguilles et une pelote, une montagne de dvd pour pallier à une culture ciné proche du néant et un argentique pour les retrouvailles avec l'océan. Le flot s'est arrêté, c'est une petite parenthèse hors du temps avant de reprendre le cours des choses.
Les journées raccourcissent à une vitesse vertigineuse.
Heureusement qu'elles sont encore plus que belles par le sud, que c'est toujours ok de manger assis dans l'herbe et de regarder le ciel allongée pour 7 minutes 30, que les retours se font à la lumière rose fluo, que dans ma chambre c'est toujours le big summer, mais que ça y est la saison des raclettes est lancée, que celle des soupes aussi, que le bonnet est sorti depuis un moment et que je peux porter des pulls de mamie et des chaussettes de toutes les couleurs.
Après un mois d'août marqué du spleen post-vacances, sans tomber dans la mollesse extrême puisqu'il a fallu reprendre le cours des affaires marseillaises, après un mois de septembre fait d'accomplissements de presque adulte, après du suspense et de l'attente, du bullshit job et de l'évasion au soleil, des plongeons dans la mer et des vagues à l'océan, du thé à la menthe et des overdoses de gâteaux arabes, de la revoyure de la chiale et des rencontres à se retrouver coincés dehors sur un des mille toits-terrasse d'une médina salée, des retrouvailles géographiques si tant cooles à se dire qu'on devient peut-être un peu vieux, des paillettes et de la Rolls Royce, des regrets et du fomo, après tout ça, on dirait bien qu'on est déjà repartis pour un quotidien plus cadencé, au vélo et au tup, à compter le temps en week-ends et à remercier l'univers pour l'invention des machines à café.
J'ai mille clichés qui attendent de se révéler, ça attendra peut-être assez longtemps pour faire des vieux souvenirs, pour l'instant j'ai ces bleus-là dans la tête et je procrastine sur le reste.
Retour à Marseille après un mois presque et demie d'aventure et de vie sauvage, pieds nus et cheveux emmêlés. Comme d'habitude, je réapprivoise doucement le 16ème en essayant de ne pas oublier ces 6 semaines d'intense folie.
On roulait la porte ouverte, ou bien entassés à l'arrière du pick-up ; c'était la chaleur et le soleil, la baignade dans des gorges de papillon et dans des bleus trop bleus, les overdoses de pastèque de raki et de moussaka. On retrouvait le rythme lent des journées là-haut, les levers de soleil et les clairs de lune à n'en pas dormir, le chant des grillons pour seul écho aux grands espaces, les douches au vent et les siestes suspendues dans le temps, ces rencontres magiques et les souvenirs à l'odeur de sauge et de romarin, à jouer les enfants sauvages entre les étoiles et l'immensité des horizons.
Et puis, le retour en solitaire, avec ce vélo vert comme compagnon d'aventure : les kilomètres avalés avant la prochaine étape, les quêtes infinies à la frontale avant de pouvoir dormir, les nuits dehors à esquiver les moustiques, les montées à dégouliner de toute la sueur du monde et les descentes de dingue au milieu de rien, les départs au petit matin et les cafés avec ces inconnus de Ljubjana, de Firenze ou Lucca, la crasse niveau 3000 et la dégaine du voyage ultra-léger, à se délester du superflu, presque trop, les ciao et les pouces en l'air sur la route, la liberté de rouler entre l'Emilie-Romagne et la Toscane comme ça, parce que, la vie hors ligne et hors les murs, les villes bike-friendly et les villes italiennes toutes trop belles, les balades à 4h du matin et les contrôleurs de train stupides, les gelati, les trains bondés, les trains gelés, les trains de nuit avec 5 contrôles tickets et 3 contrôles passeport, les trains regionale, les trains d'avant-guerre et les trains internationaux, pour prendre le temps, en traversant l'espace, de revenir à soi.
J'ai clôturé ce mois de folles aventures au goût de gingembre confit, à fabriquer nos souvenirs les pouces levés et les yeux grand ouverts.
Déjà une semaine que j'ai troqué les bagels au cream cheese et les pieds dans la neige pour le réconfort des bols de riz et de la mer si tant bleue ; j'ai quitté l'endroit des ricochets entre les glaçons et du vélo entre des buildings de 50 étages pour retrouver la corniche et la canicule marseillaises, changé les brouettes de fumier de cheval et le silence de l'immensité d'un fjord, les espoirs retrouvés au milieu de bretelles d'autoroute et les nuits en tente sous la pluie pour la pleine lune et les levers de soleil urbains, les plantes et les couleurs de l'été ici.
Eventuellement, mon corps a eu du mal à retrouver le bon fuseau horaire. Aussi, il y a eu un petit bike crash, histoire de marquer le coup du retour à la jungle urbaine. Et puis on dirait que c'est bientôt reparti déjà, histoire - comme en vélo - de ne pas perdre l'équilibre.
Les dernières semaines ont été denses de drôlitude extrême et de rencontres mouvementées, de situations à marquer l'histoire et de petits exploits incroyables. Tout ça et maintenant c'est le besoin de vide, d'ailleurs - l'envie du moment serait un mix entre se réfugier dans une forteresse de bouquins, partir à vélo vers le Sud et s'évader le plus loin possible avec un carnet et un stylo, peut-être.
Braver les éléments pour rouler sous la pluie et face au vent, redécouvrir ces horizons sous d'autres lumières, s'échapper deux jours hors du temps avant d'entamer un mois d'avril d'aventures et de rebondissements.
La glycine et les rosiers sauvages, l'odeur de la mer et des feux de cheminée, Nino Ferrer, le ciel et les roseaux de là-bas.
Le printemps s'installe, l'hiver est écourté par une douceur de vivre assez royale. Pas encore retrouvé les baignades des débuts de journée à la fraîche, mais déjà le soleil redonne à nos mines des couleurs de bonheur, et on retrouve le plaisir d'un café en terrasse pour discuter grands changements et petites révolutions, projections et aventures à venir. Le plus dur n'a pas changé - commencer ou terminer, se lancer ou lâcher prise. Entre les deux, les choses se construisent petit à petit, comme on prend le temps d'envoyer des lettres en Argentine, de redécouvrir la beauté des matins où d'écouter Eddie Mitchell pendant nos expérimentations culinaires.
Février aura été ponctué de quelques accomplissements majeurs, du genre booker des billets pour Montréal, s'inscrire pour de vrai à la bibliothèque ou partir à l'aventure juste pour quelques heures ; à côté de ça, il y a eu un glissement de terrain dans lequel nous avons couru 10 bornes à côté de la mer pour lancer la saison des crêpes, ou parlé longuement pour éventuellement tomber d'accord au petit matin et faire cramer des pop corn au micro-ondes.
Ce fut le moment de réaliser que le printemps approchait dangereusement (qu'il était possible d'attraper un coup de soleil en février sous nos latitudes), que la vie devenait dure à partir de quand tu as 25 ans mais que heureusement il y avait le sirop d'érable sur les pancakes à la banane, les couleurs du ciel à partir du 16ème, les films du dimanche soir, le tilleul et les bédénovelas, par exemple, pour accompagner les multiples stratégies conscientes ou inconscientes d'évitement du phénomène "devenir adulte, le côté relou" quand tu es en fait une enfant sauvage.
Il aura fallu courir jusqu'à ce que les milliards de questions s'effacent sous la cadence de mon souffle, jusqu'à ce que les sanglots soient étouffés dans la douleur de mes muscles.
Il aura fallu plonger dans l'eau glacée à cet endroit-là, partir avant le soleil, pleurer à s'en brûler les yeux.
Il aura fallu 4h20 de podcast dans un TER interminable, se retrouver dans un PMU parisien devant un couscous, monter en Normandie danser le disco et s'en remettre avec de la junk food, parler métaphysique entre deux gyozas, voir Mona Lisa et revoir tous ces gens-là, t'écrire puis écrire puis m'écrire et encore écrire, pour tenter de revenir.
Pour parler météo, les éclaircies se font rares en ce moment, on alterne les grands vents et les redoux salvateurs dans un enchaînement assez peu compréhensible.
Le temps file et on court toujours après, en réalisant petit à petit que tout est devenu habitude ici - la vie avec le soleil et le vent, les galettes des rois, les expérimentations culinaires et les trajets à vélo, les rendez-vous hebdomadaires et les rencontres avec le voisinage. Ce clapotis de vagues est à la fois rassurant, ennuyeux, très beau et presque fatigant. C'est sans doute le moment d'aller respirer un peu ailleurs, pour comme toujours mieux revenir.
De retour au 16ème, le même en différent.
C'est l'heure des bilans et des rêves pour les prochains mois et les prochaines années, ces promesses à soi-même toujours un peu difficiles à poser.
Au milieu du retour aux sources habituel et des retrouvailles devenues rituelles, les surprises se sont enchainées : entre régression maximale à base de pancakes au nutella et come-back technologique du futur emballé dans du chocolat, nous avons passé le cap en beauté. (entre autres, j'ai aussi appris à ouvrir les huîtres et à écailler un poisson, frôlé l'overdose de burger, redécouvert le brouillard et la bruine west coast, zoné dans le spot dvd de la BU où je commençais à traîner il y a déjà 8 ans !)
Maintenant, c'est mille aventures qui attendent, des instants de waouh à saisir et du cool à dévorer tous les jours sans en oublier aucun. 2017 ça va être chouette.